De la démocratie en pandémie par Barbara Stiegler

Que voulez-vous que je vous dise ?

Il est vital, salutaire, indispensable, incontournable d’aller dans sa libraire de quartier le plus proche et d’acheter ce Tract de Barbara Stiegler et de son collectif qui s’appelle : De la démocratie en pandémie.
Après cela vous retrouverez peut-être votre esprit critique, votre intelligence et votre cœur, et, vous déposerez, comme une bonne Bene Gesserit* votre peur dans votre dos. Que vous soyez Jeune ou vieux ou entre deux âges, que vous soyez il, elle ou iel, en couple, en polyamour ou en solo, il faut lire ce tract !

Voilà juste un long extrait qui n’est pas un résumé, mais juste pour vous donnez envie de dépenser 3€90. Et vous retrouverez en vous une marque indemne (non marqué par la damnation, qui échappe à l’enfer), et autour de cette marque collectivement nous évacuerons le mal du néant macroniste et néolibérale et nous recréerons un monde d’avenir inattendu.

Long extrait

« Ignorante et aveugle, la démocratie devait avouer son inexpérience et s’en remettre aux sachants, c’est-à-dire ici aux dirigeants : «Instruire la démocratie, […] substituer peu à peu la science des affaires à son inexpérience, la connaissance de ses vrais intérêts à ses aveugles instincts; […] tel est le premier
des devoirs imposé de nos jours à ceux qui dirigent la société.
Pendant toute la crise, les dirigeants ont ainsi affiché leur prétention au savoir. Migrant brutalement des prétendues « lois de l’économie » vers celles des épidémies, leur «savoir» a repris un mode de fabrication déjà éprouvé dans le domaine de « l’expertise » économique. Il s’est fabriqué au jour le jour en hybridant quelques données médicales parcellaires (courbes et recommandations) et de nouvelles techniques de gouvernement, nées de la rencontre entre les neurosciences et l’économie comportementale: celles de la théorie du nudge ou du « coup de pouce », méthode de gouvernement par l’incitation douce montant en puissance depuis les années 2000. C’est cette vision de l’action publique qui a été chargée par l’Élysée, en toute discrétion, de gouverner la crise à travers la création de deux Nudge Units, l’une déjà mise en place dès mars 2018 au sein de la « Direction interministérielle de la transformation publique », l’autre créée dans l’urgence
17 mars pour imposer la décision inouïe, inimaginable quelques jours plus tôt pour les dirigeants eux-mêmes, d’un confinement de toute la population. C’est elle, notamment, qui a conçu « l’attestation dérogatoire de déplacement ». Elle l’a fait en suivant des principes anthropologiques douteux qui n’ont jamais été discutés dans l’espace public et qui méritent, pour cette raison même, qu’on s’y arrête.
L’histoire de cette anthropologie plonge ses racines dans un « nouveau libéralisme » autoritaire qui remonte aux années 1930 et qui opère une rupture majeure avec le libéralisme classique. Car si les anciens libéraux déniaient déjà toute rationalité au démos, ils croyaient en revanche dur comme fer à celle de l’individu égoïste. C’est sur ce postulat en effet, celui d’un homo œconomicus calculant au mieux ses bénéfices et ses risques, qu’ils édifièrent leur croyance en la nécessité de laisser faire les interactions spontanées de société civile et du marché et de limiter en conséquence le pouvoir du gouvernement. Or à partir
des années 1930, les libéraux eux-mêmes furent obligés de constater, avec la Grande Dépression, les dégâts économiques produits par leur propre fiction. S’inspirant de la psychologie évolutionniste, ils en déduisirent une anthropologie nouvelle, marquant une rupture complète avec l’optimisme d’Adam Smith : celle d’une espèce humaine inadaptée, affectée de mauvais penchants et toujours en retard sur les événements. Contre les anciens libéraux, ils défendirent dès lors le retour d’un État fort, chargé de fabriquer le consentement des populations à une échelle industrielle en vue de les conduire, de préférence en douceur et avec leur accord, dans la bonne direction, conception qui triompha lors du colloque Lippmann de 1938, marquant la date de naissance officielle du néolibéralisme.
A la lumière de ce rappel, on réalise que l’économie comportementale n’invente rien de vraiment nouveau. Dans leur célèbre ouvrage de 2008 sur le nudge, Richard Thaler et Cass Sunstein se contentent de moderniser cette conception à la fois douce et autoritaire de l’action publique qui remonte en réalité aux années 1930. En lui ajoutant un vernis pseudo-scientifique inspiré des neurosciences, ils défendent exactement le même postulat : celui d’une espèce humaine lestée de « biais cognitifs » et incapables de choix rationnels. Mais ce faisant, ils offriront à l’entêtement du pouvoir dans le même programme une sorte de caution scientifique. Car pour ces nouveaux économistes en effet, c’est toujours la déficience épistémique des populations, et jamais celle des pouvoirs dominants, qui est censée expliquer le basculement dans un monde de crises permanentes. Plutôt que de s’interroger sur l’organisation économique et sociale qui à chaque fois conduit à ces crises, l’économie doit se faire « comportemental », c’est-à-dire qu’elle doit viser la transformation des comportements individuels, présentés comme seuls responsables de la situation. Ce faisant, ces nouvelles « sciences » de l’action publique ont conforté, hors de tout débat public, l’inversion des responsabilités que, dans la panique, le gouvernement essayait d’imposer aux citoyens.
La peur s’est alliée ici à un faux savoir, profondément enraciné dans les plus hautes sphères du pouvoir.
Au même moment, toute critique des manipulations du savoir par le pouvoir allait être immédiatement accusée de « complotisme », au mépris des cris d’alarme des plus grandes revues scientifiques elles-mêmes sur les grossières manipulations scientifiques présentées, en Pandémie, comme désormais légitimes. Ces mécanismes insidieux contribuèrent à installer, dans la conversation scientifique, une véritable chape de plomb et cette atmosphère d’« étrange défaite», condamnant à se taire beaucoup de ceux qui pourtant savaient et qui préférèrent se confiner en attendant des jours meilleurs.
Dans les médias, on laissa aux provocateurs habituels, ultra-réactionnaires ou libertaires, le soin de défendre les libertés de l’individu contre la « dictature sanitaire », histoire de dire qu’on était encore en démocratie. Mais l’essentiel était sauf : entre personnes civiques et éduquées échangeant dans l’espace public, la conversation politique sur la crise sanitaire était désormais suspendue.
Dans ces nouvelles techniques de gouvernement recourant au nudging, les suggestions les plus efficaces furent celles, infra-conscientes, qui permettaient de fabriquer à l’avance le consentement, rebaptisé en contexte sanitaire « l’acceptabilité sociale » des consignes. Au lieu de recueillir la volonté générale des citoyens, et au lieu de contribuer à sa formation en intensifiant le débat public, le pouvoir s’appliqua, avec l’aide de l’industrie médiatique, à fabriquer une vaste « manufacture du consentement ».

* la litanie contre la peur :
Je ne connaîtrais pas la peur, car la peur tue l’esprit.
La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale.
J’affronterai ma peur.
Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu’elle sera passée,
je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien.
Rien que moi.

Le Cycle de Dune de Franck Herbert auquel j’associe son épouse Beverly Ann Stuart