Rimbaud parle finalement de Stefan Zweig et de ce que j’ai ressentis en lisant Marie Antoinette.
« Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n’en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant — Car il arrive à l’inconnu ! Puisqu’il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu’aucun ! Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d’autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l’autre s’est affaissé ! »
Et au moment de refermer la dernière page de Marie-Antoinette, mon visage n’était plus que sous une ondée de larmes, et le cœur inondée de cette eau salée !
Mais pourquoi ?
Stefan Zweig écrit en préambule au Monde d’hier
« Il nous est aisé, à nous, les hommes d’aujourd’hui, qui depuis longtemps avons retranché le mot « sécurité » de notre vocabulaire comme une chimère, de railler le délire optimiste de cette génération aveuglée par l’idéalisme, pour qui le progrès technique devait entraîner une ascension morale tout aussi rapide. Nous qui avons appris dans le siècle nouveau à ne plus nous laisser étonner par aucune explosion de la bestialité collective, nous qui attendons de chaque jour qui se lève des infamies pires encore que celles de la veille, nous sommes nettement plus sceptiques quant à la possibilité d’une éducation morale des hommes. »
Zweig n’est pas plus tendre avec la bourgeoisie révolutionnaire qu’avec la noblesse. Il décrit cette bourgeoisie comme les petits dictateurs en herbe, des corrompus, des incultes ou des crétins. Ils joignaient la lâcheté et la propension à l’insulte et à la grossièreté. Certains, hélas, présentent de fâcheuses ressemblances avec les politiciens d’aujourd’hui. Je ne dirais pas qui.
Et aucuns des compatriotes de Marie-Antoinette ne lui viennent en aide : Marie-Thérèse et Joseph sont morts et les autres se fichent éperdument qu’on la décapite. Le seul qui se démena jusqu’au bout, au risque de sa vie, c’est Fersen qui resta inconsolable de la mort de l’amour de sa vie.
Un chef d’œuvre que chaque lectrice se doit de découvrir ou de redécouvrir, surtout vous les femmes pour comprendre ce qui se jouait et se joue encore.
L’apparence de Marie-Antoinette que je garde en mémoire, est celle offerte par Sofia Coppola, un film certes avec ses défauts et ses anachronismes mais avec une profondeur dramatique qui fait un bel écho à la profondeur littéraire de Zweig..
Le féminin doit l’emporter sur le masculin. Notre avenir d’humain en dépend.
Quelques citations glanées
Marie-Antoinette s’imagine que le monde entier est content et sans souci parce qu’elle-même est heureuse et insouciante. Mais tout en croyant, dans sa candeur, narguer la cour et se rendre populaire à Paris par ses folies, elle passe en réalité dans son luxueux carrosse à ressorts, pendant vingt années, devant le vrai peuple et le vrai Paris, sans jamais les voir.
… jamais une reine n’est plus royale que quand elle agit humainement.
Versailles est construit pour prouver à la France que le roi est tout et le peuple rien.
C’est presque toujours un destin secret qui règle le sort des choses visibles et publiques ; presque tous les événements mondiaux sont le reflet de conflits intimes. Un des plus grands secrets de l’Histoire est de donner à des faits infimes des conséquences incalculables ; et ce n’était pas la dernière fois que l’anomalie sexuelle passagère d’un individu devait ébranler le monde entier (…) Car l’Histoire se sert de fils d’araignée pour tisser le réseau de la destinée. Dans son mécanisme merveilleusement agencé la plus petite impulsion déclenche les forces les plus formidables ; ainsi, dans la vie de Marie-Antoinette, les frivolités prennent une importance capitale, les événements apparemment ridicules des premières nuits, des premières années conjugales, façonnent non seulement son caractère, mais déterminent l’évolution de l’univers.
Le calme est un élément créateur. Il rassemble, il purifie, il ordonne les forces intérieures.
Pour fêter les 40 ans de La Bibliothèque des voix, les éditions des femmes-Antoinette Fouque ont choisi de rééditer cette interprétation magistrale, parue en 1992, de la « La Peur », nouvelle culte d’un des plus grands auteurs autrichiens. Ainsi entendez la beauté se Zweig.