1968, Cours Préparatoire L’encrier blanc de porcelaine Rempli chaque matin Par le préposé à la date et à l’encre. Nos porteplumes de bois Nos sergents major Nos crayons de bois Nos trois crayons de couleur Rouge, jaune, bleu Le taille-crayon collectif Qui devait toujours être bien taillés. Réserve dans l’armoire fermé à clef Avec les cahiers neufs, De brouillon aux tables de multiplications Du jour, pour les exercices De Composition pour les rédaction et problèmes De poésie, pour les récitations et dessins Nos blouses grises
L’école primaire était notre bien commun. Nos liés et déliés. Ils étaient moins jolis que ceux de nos grands-mères, Ma mère écrivait des mystères, Elle aimait Sainte Catherine Labouré. Viviane avait été noyée Par le désespoir d’une mère, Broyé par une société qui se délité. Elle était six ans 1968 !
Quatre ans plus tard, Le stylo encre faisait son entré La blouse grise nous quitté Les marques entraient Stypen des pauvres Waterman des riches Vivianne n’était pas ressuscité Et je découvrais Lancelot Et sa dame du Lac.
Et aujourd’hui Stylo bille et tablette numérique Les ténèbres du selfie individualiste Se sont propagés Loin est l’encrier blanc de porcelaine. Même les tables d’écolier sont individualisées. Ce matin, je suis en Mélancholia.
L’encrier blanc est venu la nuit après avoir vu « La Lettre » et prendre conscience de comment nous nous sommes perdu. Et l’espoir pourtant est dans nos retrouvailles avec le sacré.
Car cela me semblais indispensable « Une fois que vous savez, vous NE POUVEZ PLUS détourner le regard. »
Je vole, je plonge, je virevolte et revole Je crache l’eau de mon bec sur l’embrasement Et je reprends
Je vois mourir Ma sœur biche Mon frère sanglier J’entends éclater les abeilles, les guêpes Mes sœurs araignées grillent en un instant Je fais ma part
Je vole, je plonge, je virevolte et revole Je crache l’eau de mon bec sur l’embrasement Et je reprends
Et les singes habillés ? Ils se renvoient la faute sans fin. Ceux qui ont, ne veulent pas partager Ils cachent même l’eau Ceux qui n’ont rien se haïssent entre eux Les singes habillés sont fous
Et moi Je vole, je plonge, je virevolte et revole Je crache l’eau de mon bec sur l’embrasement Et je reprends
Les singes habillés ont tué leur frère Leurs frères singes habillés Leurs sœurs et frères des basses courts Leurs sœurs et frères des forêts et des mers Leurs sœurs et frères qui vivent dans la terre Mon frère le ver à grillé L’incendie s’agrandi
Et moi, mes pates sont brulées Je vole, de plonge, je virevolte et revole Je crache l’eau de mon bec sur l’embrasement Et je reprends
Les singes habillés Ont poignardé la mère terre Pour en faire sortir le sang noir Ce sang qui devait rester enfoui Ils l’ont répandu en ruban noir Et ils roulent dessus à tombeaux ouverts Fracassant les frères et les sœurs Ils ont fait des ruches grises Où nul miel ne nait Ou nulle chaleur ne sort Mais provoquent l’incendie
Et moi, mon bec fendu Mes plumes brulé Je tombe dans l’embrasement J’ai fait ma part
Ci-git un colibri qui fit sa part Ci-git une planète qui fut remplie de vie
Et voilà la dernière page est tournée. Je regarde le petit livre, son format, son papier, sa couverture, son odeur. J’aime cette collection Tract. Et je pense à ce que je viens de lire. Je ne parviens pas encore à comprendre où Régis Debray veut en venir. Cet homme, cet humain, cet écrivain-philosophe-haut fonctionnaire est étrange. J’ai le sentiment que cet publication est plus un écrit littéraire qu’un véritable essai sur l’écologie. Son lexique possède des sources multiples. Il les manie avec savoir-faire et obtient de très bel effet, tantôt géniaux et tantôt triviaux. Mais in fine je ne sais pas où il se situe, lui personnellement. J’ai plutôt ce sentiment confus d’être en présence d’une personne humaine qui ne veut pas s’engager. Il défend une idée, un concept et deux phrases plus loin, il la dénigre ou l’amoindri par un ton ironique comme si cela n’en valait pas la peine. Est-ce parce qu’il a vécu cet engagement au coté du Che dans sa jeunesse et qu’après avoir été torturé, il a failli être exécuté sans l’intervention de De Gaulle pour le sortir de cet impasse morbide, alors il se méfie des engagements. Il me fait penser à la Chanson de Brassens « Mourir pour des idées » d’accord mais de mort lente qui elle aussi me laisse interrogateur.
Quelques citations
Qui procède au remembrement des parcelles, assainit le bocage, améliore la productivité, fait ses additions et réclame un bonus. Qui, en ville, taille des avenues et remplace les ruelles par des esplanades. Tout ce qui entrave et enclave, pèse et empèse, l’insupporte – Héritage, Tradition, Localisation. Pas de fil à la patte. Respecter, c’est radoter. Son devoir à lui est de créer du jamais vu. L’an I de la République. L’an I de l’homme nouveau. « Du passé faisons table rase », de la couche d’ozone, des nappes phréatiques et des séquoias aussi, et demain l’Internationale sera le genre humain. Rien de plus condamnable, à ses yeux, et de plus rétro, que l’injonction d’Épictète : « Ne prétends pas changer la nature des choses. » Lui, justement, c’est son métier, son orgueil et sa feuille de route.
L’histoire est ce que font les hommes, mais qu’avons-nous fait de ce qui nous a faits ?
L’ivresse du nous une fois refoulée dans les stades de foot ou aux abords, chaque moi-je reste en tête-à-tête avec les images de dévastation quotidienne sur son écran, sans nation, peuple ou Cité interposés pour le distraire d’une mort annoncée.
Le retour à la sève et aux sucs ne s’est pas fait un beau matin, sans préavis. Le glissement, que nous voyons en live, de l’Esprit sans la Nature (pôle progressiste) vers la Nature sans l’Esprit (pôle réactionnaire), a demandé plusieurs siècles. Les termes en ion du prométhéisme ont émergé à la fin du dix-huitième (communication, régénération, civilisation, colonisation, etc.). Le dix-neuvième a enchaîné avec la machine à vapeur, l’engorgement des métropoles et le passage en accéléré de l’agriculture à la manufacture. L’Esprit atteint enfin sa vitesse de libération au vingtième siècle avec les aéroplanes, la machine-outil, le bébé-éprouvette, les aliments ultra-transformés, les transgenres et le désormais classique «on ne naît pas femme, on le devient ». Ce sont les décennies fabuleuses, 1900-1925, des avant-gardes qui ont exploré tous les possibles de l’ingénierie, OGM compris, ouvrant la voie à notre régime actuel : le concept sans l’affect, le marché sans frontières, l’art sans œuvre, la reproduction sans sexe, la dissidence sans risque, le roman sans récit, le café sans caféine et le mot sans la chose. Ayant débranché sa prise de terre, l’Esprit se pense désormais à même d’effacer la matière première sous le produit fini, l’inné sous l’acquis, et de voir dans le monde sensible, le plus bas de gamme des mondes possibles.