La Zone Par Fréhel (1933)

Quand mon fils est né (1993), qu’il était encore bébé et que ses entrailles se finissaient, le soir, il avait ces douleurs abdominales qui le faisait pleurer. Alors, je l’installais sur mon bras gauche, petit bras et petite jambe pendante et je berçais en dansant. Je berçais mon enfant et lui faisait écouter de la musique. Je ne sais plus comment je les avais trouvé, mais il y avait deux artistes qui l’apaisais : Jean-Louis Murat et surtout Fréhel.

C’était un temps doux pour nous ou je voyais notre premier enfant parcourir le chemin que nous, ses parents, avions nous même parcouru, sans souvenir conscient, juste avec ce que nous avaient raconté les témoins. J’étais devenu témoin de mon enfant. Et une Dame ayant chanté soixante ans auparavant, venez apaiser mon fils.

Voici donc, moi qui suis auvergnat, la chanson apaisante pour le petit parisien qu’est mon fils.

Y’a des tas d’ citoyens amoureux d’ la nature
Et qu’ont pas les moyens d’ voyager…
Ils ne connaissent seul’ment qu’ par la littérature
La rive où fleurit l’oranger…
I’ rêv’nt que d’ s’en aller dans les landes en Bretagne,
Dans les auberges à coup d’ fusil,
Sans s’ douter qu’il existe un vrai Pays d’ Cocagne
À dix centimèt’ de Paris…

Sur la zone,
Mieux que sur un trône,
On est plus heureux que des rois !
On applique
La vraie République,
Vivant sans contraintes et sans lois…
Y’a pas d’ riches
Et tout l’ monde a sa niche,
Et son petit jardin tout pareil,
Ses trois pots d’ géranium et sa part de soleil…
Sur la zone !

On n’a pas des palaces en marbre de Carrare,
Avec des dorures au balcon…
On habite une cabane faite en boîtes à cigares,
Avec un’ toiture en carton !
Y’a pas besoin d’ crâner dans son automobile
Pour qu’un’ poul’ vous tombe’ dans les bras !
Les amours sont moins chers et beaucoup plus faciles
Qu’avec les stars de cinéma…

Sur la zone,
Y’a pas d’ sable jaune,
Ni d’ parasols, ni d’ mer d’azur…
On s’invite
À bouffer d’ la frite
Autour d’un tranquill’ de vin pur !
Sous la brise,
On peut à sa guise
S’endormir à poil au soleil…
Tout comm’ les nudistes à Nice ou Beausoleil !
Sur la zone !

Y’a des clebs qui s’engueulent à travers les clôtures,
Des oies, des pigeons, des canards…
Des poul’s qui tranquill’ment s’en vont à l’aventure,
Mais pas comm’ celles des Grands Boul’vards !
Les savants qui voudraient étudier nos coutumes
S’raient bien obligés d’ constater
Qu’ la grenouille du trottoir et l’ poisson du bitume
N’arriv’nt pas à s’acclimater !

Sur la zone,
Bien sûr que la faune
N’est pas cell’ de tous les pays…
On y chasse,
En guise de bécasse,
Du rat, d’ la puce et d’ la souris !
On pratique
Les jeux athlétiques
Et les sports qu’hippiques à la fois…
On a des balançoires à tirer, des ch’vaux d’ bois…
Sur la zone !

Y’a des tas d’ambitieux qui s’acharn’nt à la peine
Pour ramasser trois cent mille francs,
De quoi s’ach’ter plus tard un castel en Touraine :
Faut vraiment pas être au courant !
Y’a qu’à s’am’ner comm’ ça, simplement, un dimanche,
Avec des planches et des outils,
Pour se construir’ soi-même sa villa Les Pervenches
Ou son p’tit chalet Ça m’ suffit !

Sur la zone,
C’est le péril jaune :
Les moutards pouss’nt comm’ du chinois !
On oublie
L’hydrothérapie,
Quand on prend son eau sur son toit !
Faut s’y faire
Et, chez les zonières,
On chuchote, en s’ montrant du doigt
Cell’s qu’ont pas tous les ans deux moujingues à la fois !
Sur la zone !

Fréhel  » la zone « 
orchestre M.Chobillon.
disque 78 tours Salabert 3344 en Juillet 1933