J’ai découvert cet homme dans les années 80 après ma première lecture du Cycle de Dune, et je continue de le suivre et de l’aimer. Très belle intervention de cette personne humaine sur France Culture le 21 janvier 2012
Affaire en cours par Marie Sorbier

Puisque les institutions culturelles n’ont pas su se rendre essentielles, comment envisager le futur de la Culture?
Le cinéaste, auteur, dessinateur de bande dessinée et taromancien Alejandro Jodorowsky explore au micro de Marie Sorbier la situation de l’art et de la culture dans un monde criblé de crises, revendiquant des redéfinitions nécessaires, et peut-être salvatrices. En effet, si dans ces temps de confinements et reconfinements, nos institutions culturelles n’ont su se rendre « essentielles », la crise sanitaire constitue peut-être l’occasion, rêvée ou forcée, de repenser ces mêmes institutions.
Parlons d’art
Qu’est-ce que la culture ? Savoir beaucoup de choses ? Ou bien est-ce l’art ? Il faut avant tout faire la différence entre art et culture.
Alejandro Jodorowsky
Aux yeux du cinéaste et écrivain, nous vivons un moment critique pour l’art. Prisonnier, l’art a perdu son ancienne signification. Alejandro Jodorowsky affirme néanmoins que cette perte de sens s’est enclenchée bien avant la pandémie.
Art résolument populaire, le cinéma semble pour le réalisateur de films comme El Topo (1970) et La Montagne sacrée (1973) constituer une bonne mesure de la situation générale du monde artistique actuel.
Tout dans l’art est devenu une affaire. Il faut distinguer les arts : par exemple, le cinéma est l’art le plus populaire. C’est la plus prostituée des manifestations culturelles. On l’appelle même une industrie. Une industrie qui sert à nous amuser, pour passer le temps, pour rester tels que nous sommes, au même degré culturel confortable.
Alejandro Jodorowsky
La valeur artistique du cinéma s’est-elle effacée au profit de son industrialisation ? La prolifération de séries télévisées et films de super-héros donne au fondateur du cinéma psycho-magique le sentiment d’une industrie infantile. Une industrie dépourvue de conscience, ou plutôt, une industrie dont la conscience véritable est masquée et tient bien plus à des enjeux publicitaires et politiques qu’artistiques.
La quantité a tué la qualité. N’importe qui peut dire son opinion et définir ce qu’est l’art, ainsi que ce que l’art ne peut pas dire ou faire. C’est une catastrophe culturelle qui nous renvoie au Moyen-Âge, où l’on châtiait et brûlait une personne pour ce qu’elle pensait. C’est lamentable.
Alejandro JodorowskyMaintenant que nous sommes tous menacés de mort, quelle merveille ! Le monde n’a pas changé. C’est plutôt que nous ne savions pas qu’il était comme cela, avant la diffusion des moyens de communication.
Alejandro Jodorowsky
Pour Alejandro Jodorowsky, notre ère ultra-informée serait donc celle où nous prenons conscience d’être réduit à un esclavage absolu par les impératifs économiques.
Nous devenons des imbéciles qui choisissent des présidents qui sont des clowns, des poupées de ventriloque. Trump a été reproduit dans presque tous les pays, c’est la décadence absolue de la politique et de la religion. La politique est la plus grande escroquerie de l’histoire de l’humanité, et maintenant, nous passons à la santé.
Alejandro Jodorowsky
Des horizons meilleurs
Face à un constat particulièrement accablant de l’humanité contemporaine, que peut-on envisager comme perspectives de sortie de cette crise ?
Les gens vont sortir de cette crise par la peur qu’ils en ont. Ils ont perdu le sens de la vie, et n’ont aucune consolation, ni politique, ni religieuse, ni philosophique. Nous sommes dans une nudité totale, où notre unique espoir, la science, fait peur. L’intelligence artificielle et la physique quantique changent notre perception du monde : nous ne savons plus où nous sommes nés.
Alejandro Jodorowsky
C’est dans une telle situation que doit intervenir l’art, et que la culture recouvre son importance, revendique Alejandro Jodorowsky. Définissant la culture comme le fait d’être ce que nous sommes, et non pas ce que les autres veulent que nous soyons, le réalisateur y voit la possibilité de découvrir la véritable essence de l’humanité. Telle a toujours été la mission de l’art.
L’art a toujours cherché à dépasser les limites. Mais aujourd’hui, nous ne nous exprimons pas. Esclaves absolus d’une économie qui nous assassine en ce qu’elle détruit la planète, nous sommes au bord d’une catastrophe climatique et de la perte absolue des valeurs humaines.
Alejandro Jodorowsky
Dans son documentaire de 2019, Psychomagie, un art pour guérir, le cinéaste défend l’art comme guérisseur des consciences. Il prône non pas des rituels collectifs, mais le développement d’approche plus épurées comme la méditation afin de développer la conscience humaine.
Le but de l’art actuel est le développement de la conscience et de la liberté. Être libre c’est connaître réellement et en finir avec les préjugés quels qu’ils soient. Nous nous sommes trompés : la politique, la religion, l’économie se sont trompées. Il nous faut être courageux et faire face à la catastrophe culturelle.
Alejandro JodorowskyLa vulgarité a gagné et la démocratie est en ruines, pourquoi ? Parce que le grand nombre a choisi des monstres, et s’en plaint après. Mais c’est nous qui avons choisi cette catastrophe en donnant la parole à des immatures qui ne travaillent pas sur eux-mêmes.
Alejandro JodorowskyL’art doit se proposer de guérir l’humanité, et pas seulement de s’amuser. Et puis, on s’amuse toujours plus en faisant ce qu’on est réellement.
Alejandro Jodorowksy