Notre Dame de Midi par Paul Claudel

Il est midi. Je vois l’église ouverte. Il faut entrer.
Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.

Je n’ai rien à offrir et rien à demander.
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.

Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
Que je suis votre fils et que vous êtes là.

Rien que pour un moment pendant que tout s’arrête.
Midi !
Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.

Ne rien dire, mais seulement chanter
Parce qu’on a le cœur trop plein,
Comme le merle qui suit son idée
En ces espèces de couplets soudains.

Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée,
La femme dans la Grâce enfin restituée,

La créature dans son honneur premier
Et dans son épanouissement final,
Telle qu’elle est sortie de Dieu au matin
De sa splendeur originale.

Intacte ineffablement parce que vous êtes
La Mère de Jésus-Christ,
Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance
Et le seul fruit.

Parce que vous êtes la femme,
L’Éden de l’ancienne tendresse oubliée,
Dont le regard trouve le cœur tout à coup et fait jaillir
Les larmes accumulées,

Parce qu’il est midi,
Parce que nous sommes en ce jour d’aujourd’hui,
Parce que vous êtes là pour toujours,
Simplement parce que vous êtes Marie,
Simplement parce que vous existez,

Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !

Rimbaud le fils par Pierre Michon

Citations

Ce refus d’un maître visible, on l’appelle chez Rimbaud révolte, juvénile révolte, mais c’est très vieux, comme le vieux serpent dans le vieux pommier, comme la langue qu’on parle. C’est dans la langue qui dit je, quand elle passe par- dessus la tête des créatures visibles et ne daigne s’adresser qu’à Dieu.

Comme l’eau dans la roue, on voit bien que ça exulte; on ne peut décider si cela met fin à l’Occident ou une fois de plus le relance; mais à tort ou à raison on s’accorde à penser que c’est miracle d’écrire, à dix-neuf ans, dans un grenier des Ardennes, cette poignée de feuillets hermétiques comme Jean, abrupts comme Matthieu, métèques comme Marc, policé comme Luc; et, comme Paul de Tarse, agressivement modernes, c’est-à-dire dressés contre le Livre, rivaux du Livre.

Expérience de lecture

Pierre Michon a relu une saison en Enfer d’Arthur Rimbaud. Alors il se décide d’en écrire sa critique Babelio. Elle est trop longue, elle déborde, et va au-delà du nombre de mots autorisés. Il se laisse emporter, il est transporté, il nous parle de Rimbaud de son Rimbaud, comme un Proust pourrait nous en parler, comme une Régine Deforges pourrait nous l’offrir. Il nous donne sa propre littérature, une littérature de peintre, de photographe, de poète. Oh, le gros mot est lâché, de Poète.

Le rôle de la poésie est d’entrouvrir une porte, une porte immatérielle, et, qui, suivant son inclinaison donne sur l’enfer du néant ou la création permanente du jardin d’Eden.
Nous avons le choix, nous sommes libres, libre à chaque instant comme un Arthur Rimbaud , comme un Pierre Michon, libre de choisir sur quel vision ouvre cette porte personnelle.
Rimbaud est le dernier des pères de la poésie, père qui n’a pas de fils, Père sans Fils. Père parce qu’abstrait, (suivant son étymologie latine « séparé de »), une mère c’est trop concret pour Arthur Rimbaud, trop charnel, trop présent, trop aimant de manière concrète et possessive.

Pierre Michon nous offre la genèse d’un père qui n’aura pas de fils, il ne peut s’offrir que lui-même et disparaitre, nous laissant à notre tour libre. Libre de suivre Proust, Deforges, Michon ou de retourner explorer Céline.

C’était ma première entrée en lecture de Pierre Michon.
Et je dis, oui, je vous suis.