Au petit matin naissant, prenant le sentier silencieux de l’oraison, je suis parvenu à Gethsémani, au jardin des oliviers. Lui, il était là, dans un cercle de troncs noueux, assis, adossé contre le plus ancien de ces oléacées. Des larmes sourdaient entre ses paupières fermées. Je restais caché derrière un de ces arbres. Au loin, j’apercevais les apôtres allongés, endormis. Mais en dehors du cercle, dans un éclat de lune, je découvrais une autre personne : une femme à genoux priait. C’était Marie de Magdalena. Elle priait parce qu’elle regardait Jésus. Elle voyait que depuis quelques instants il était devenu homme, entièrement humain, uniquement humain. Il souffrait pour avoir vu tout ce qui allait arriver à partir de ce moment-là. Il savait le reniement et la fuite à venir de ses disciples pour l’instant endormis ; la trahison, les humiliations, la torture, la souffrance et ce long chemin d’épuisement et de supplice le long de la piste de mort vers le mont du crâne ; les hurlements de haine, les crachats, les insultes et, pire que cela, les moqueries imbéciles et aussi la tristesse des pleurs des femmes encore debout. Il voyait sa crucifixion, puis les ténèbres de sa mort et le néant. Marie la Magdalénienne voyait enfin l’homme qu’elle aimait, dans sa totalité, et pour le pire de sa fin de vie. Elle priait pour lui, pour elle aussi. Elle priait d’avoir le courage d’aller jusqu’au bout du chemin en flammes. Elle le faisait aussi pour les apôtres, pour qu’ils puissent affronter leurs reniements, leurs fuites, leurs terreurs, eux qui, auprès de lui, avaient des rêves de petits garçons, des rêves de gloire et de grandeur. Ils allaient être perdus, elle et l’autre Marie devraient s’occuper d’eux. Mais pour l’instant, elle priait pour lui et se laissait aimer cet homme qui n’était plus le maitre.
Je restais dissimulé derrière mon olivier, une oraison au cœur, une senteur de printemps dans la poitrine. Je ne pouvais pas Lui parler, juste regarder Jésus et Marie Madeleine, voir l’homme et la femme qu’ils étaient ce soir là à Gethsémani.