Le Siècle Vert par Régis Debray

Et voilà la dernière page est tournée. Je regarde le petit livre, son format, son papier, sa couverture, son odeur. J’aime cette collection Tract. Et je pense à ce que je viens de lire. Je ne parviens pas encore à comprendre où Régis Debray veut en venir. Cet homme, cet humain, cet écrivain-philosophe-haut fonctionnaire est étrange. J’ai le sentiment que cet publication est plus un écrit littéraire qu’un véritable essai sur l’écologie. Son lexique possède des sources multiples. Il les manie avec savoir-faire et obtient de très bel effet, tantôt géniaux et tantôt triviaux. Mais in fine je ne sais pas où il se situe, lui personnellement. J’ai plutôt ce sentiment confus d’être en présence d’une personne humaine qui ne veut pas s’engager. Il défend une idée, un concept et deux phrases plus loin, il la dénigre ou l’amoindri par un ton ironique comme si cela n’en valait pas la peine. Est-ce parce qu’il a vécu cet engagement au coté du Che dans sa jeunesse et qu’après avoir été torturé, il a failli être exécuté sans l’intervention de De Gaulle pour le sortir de cet impasse morbide, alors il se méfie des engagements.
Il me fait penser à la Chanson de Brassens « Mourir pour des idées » d’accord mais de mort lente qui elle aussi me laisse interrogateur.

Quelques citations

Qui procède au remembrement des parcelles, assainit le bocage, améliore la productivité, fait ses additions et réclame un bonus. Qui, en ville, taille des avenues et remplace les ruelles par des esplanades. Tout ce qui entrave et enclave, pèse et empèse, l’insupporte – Héritage, Tradition, Localisation. Pas de fil à la patte. Respecter, c’est radoter. Son devoir à lui est de créer du jamais vu. L’an I de la République. L’an I de l’homme nouveau. « Du passé faisons table rase », de la couche d’ozone, des nappes phréatiques et des séquoias aussi, et demain l’Internationale sera le genre humain. Rien de plus condamnable, à ses yeux, et de plus rétro, que l’injonction d’Épictète : « Ne prétends pas changer la nature des choses. » Lui, justement, c’est son métier, son orgueil et sa feuille de route.

L’histoire est ce que font les hommes, mais qu’avons-nous fait de ce qui nous a faits ?

L’ivresse du nous une fois refoulée dans les stades de foot ou aux abords, chaque moi-je reste en tête-à-tête avec les images de dévastation quotidienne sur son écran, sans nation, peuple ou Cité interposés pour le distraire d’une mort annoncée.

Le retour à la sève et aux sucs ne s’est pas fait un beau matin, sans préavis. Le glissement, que nous voyons en live, de l’Esprit sans la Nature (pôle progressiste) vers la Nature sans l’Esprit (pôle réactionnaire), a demandé plusieurs siècles. Les termes en ion du prométhéisme ont émergé à la fin du dix-huitième (communication, régénération, civilisation, colonisation, etc.). Le dix-neuvième a enchaîné avec la machine à vapeur, l’engorgement des métropoles et le passage en accéléré de l’agriculture à la manufacture. L’Esprit atteint enfin sa vitesse de libération au vingtième siècle avec les aéroplanes, la machine-outil, le bébé-éprouvette, les aliments ultra-transformés, les transgenres et le désormais classique «on ne naît pas femme, on le devient ». Ce sont les décennies fabuleuses, 1900-1925, des avant-gardes qui ont exploré tous les possibles de l’ingénierie, OGM compris, ouvrant la voie à notre régime actuel : le concept sans l’affect, le marché sans frontières, l’art sans œuvre, la reproduction sans sexe, la dissidence sans risque, le roman sans récit, le café sans caféine et le mot sans la chose. Ayant débranché sa prise de terre, l’Esprit se pense désormais à même d’effacer la matière première sous le produit fini, l’inné sous l’acquis, et de voir dans le monde sensible, le plus bas de gamme des mondes possibles.


Songe du jour d’après

En cette multitude studieuse,
A mes flancs, deux oiselles rayonnantes de sagesses.
Dans ces brumes bleues, étais-je homme, femme, autre ?
Le pupitre en scène de l’orateureuse m’attendait.
Là bas, je devis gravir nos montagnes de questions
Et par mes mots faire éclore l’écho commun.

Celle sans nom, m’a écrit des instants.
Oiselle sage de 30 ans, voisine de banc.
Devant l’assemblée, un sentier de randonnée s’est dessiné,
Les mots, les siens, les miens les notre avaient chauffés.
Revenu, elle me guidait en une place écartée.
Je m’étourdissais en merci, et la serrait dans mes bras.
Elle s’écartait en douceur, sa tête s’approchait
Ses lèvres se posaient en feuille d’automne sur les miennes.

Je l’arrêtais. « Je vis avec un personne que j’aime,
Je suis soixante ans, tu es trente ans. »
Ses mots avaient embrasé mes mots et inondés l’auditoire.
Je continuais à ressentir dans mes doigts d’autres termes
J’étais homme, elle était femme en cet instant.
Alors dans le creux de son oreille, je susurrais.

« Je sens le feu et la source de don sexe
Je le sens qui s’embrase et appelle,
Et à l’approche de l’autre, il explose de joie. »

Elle jouie de cette joie de femmes, je continue

« Ce flamme de propage à ton anus
Qui vibre et palpite s’ouvrant, se fermant
Appelant la caresse qui vient, nouvelle embrasement »

Elle jouie encore, alors plus doux

« Cette flambée intérieur remonte,
Elle dépasse tes ovaires
Se retrouve au cœur de ton estomac
Et descend sur tes cuisses »

Elle soupire pour la troisième fois.

« Tes seins sont à leur tour incendier
Ton cou et tes jambes brulent. »

C’est la quatrième fois
La cinquième est silence, pose et écoute.

« Et maintenant par tes pieds, par ta tête
La dernière porte s’ouvre
Celle de l’esprit
Cette sixième jouissance vient d’IEL »
Moment éternel…

« — Je veux un enfant, est son souffle
— Ce sera une petite fille.
Tu seras et sa mère et son père
— Oui »

Et je me suis effacé, lui souriant.
J’ai eu en retour le plus beau sourire
Celle d’une mère nouvelle naissante.