Citations
C’est la raison pour laquelle le christianisme comme appartenance a quelque chose d’une fiction, d’un «produit» de la tendance actuelle à la « patrimonalisation », ce besoin très « postmoderne » de conserver et de commémorer. Je m’étonne alors qu’on n’ait pas encore fait rentrer le christianisme dans la liste du patrimoine matériel et immatériel de l’UNESCO !
Mais pourquoi avons-nous substitué au christianisme comme expérience de la Voie un christianisme d’appartenance ? La réponse est assez simple : un christianisme d’appartenance vend de l’identité; mieux, il vend de l’assurance (autrefois l’assurance vie» du salut, aujourd’hui l’assurance des gens de valeur) alors qu’un christianisme d’expérience ne cesse jamais d’inviter au risque de la foi.
Si autrefois la religion était le lieu majeur de la valorisation narcissique du moi (même quand ce moi était obligé de confesser ses péchés… mais c’était pour ressortir en état de grâce!), aujourd’hui elle fait påle figure devant les «fabriques»> actuelles du renforcement du moi.
Il faut penser que l’amitié dont j’aime un ami n’existe pas encore dans toute sa vérité puisqu’elle attend l’avènement d’une rencontre qui la rendra à nouveau possible. Du coup, c’est la rencontre à venir qui donne aux amis de mieux comprendre encore comment leur amitié était déjà inscrite dans leur toute première rencontre. Néanmoins, l’avenir de leur amitié ne leur apprendra jamais pourquoi elle a été un jour possible mais seulement comment elle peut encore l’être à nouveau.
L’amitié ou l’amour nous apprennent que la fidélité à l’événement qui les a fait naître n’est pas de conservation mais d’invention. En ce sens, il faut penser que l’amour réitère le passé plus qu’il ne le conserve.
Si l’-isme du mot «christianisme» est ce qui le plombe, «Christ » par lequel il commence devrait le sauver. Pourtant, ici encore, la confusion risque de demeurer entre un christianisme d’appartenance qui ne demande au Christ que d’être son fondateur et un christianisme d’expérience pour qui le Christ est celui qui nous précède sur le chemin d’une vie nouvelle. Faut-il encore rappeler que le Christ n’est pas le fondateur du christianisme et que les apôtres ignoraient faire partie d’une nouvelle religion? Si le Christ n’est pas le fondateur du christianisme, il en est la fondation vivante en même temps qu’il en est l’horizon indépassable.
Pourquoi le christianisme est-il de moins en moins parlant? Pour une raison qui n’apparait de prime abord: notre rapport au temps est devenu imperméable à l’événement. L’individu post-moderne ne rencontre plus l’événement de parole mais s’évertue à produire de « l’événementiel », cette dégénérescence de l’événement réduit à une production et à une prévision, négation même de l’événement. La preuve que l’événement nous dérange ? Nos replis identitaires et nos valeurs-refuges qui justifient une véritable obsession actuelle pour la sécurité de l’entre-soi. Même la parole est formatée, taillée en éléments de langages, slogans disponibles, prêts à l’emploi pour marquer les esprits, faire le buzz.
Il est vrai que les croyants s’arrangent assez bien avec l’idée de l’existence d’un Dieu (moins engageante que de croire en sa parole) comme il est vrai également que les athées ou les incroyants trouvent assez confortable leur croyance en la non-existence de Dieu. Il semblerait la bondieuserie, du fait de l’intérêt qu’elle porte à l’utilité de la croyance pour dissoudre la déception provoquée par l’Évangile, ait fini par avoir raison de la foi. (Notons aussi, au passage, que le projet de la modernité philosophique et scientifique fut aussi d’avoir raison de la foi, de faire rendre raison à la folie de la foi…) Ce qui revient à avancer ceci: le malheur du christianisme d’appartenance est la du sens même de croire. Autrement dit, le chrétien ne semble plus très bien savoir ce qu’il entend croire; d’autant qu’il est pris entre un conservatisme qui sait qu’il croit et un progressisme qui croit qu’il sait. Je pourrais formuler ainsi la thèse principale de ces réflexions: le christianisme n’existe pas encore parce qu’il ne croit pas en… la foi !
Il est vrai que les valeurs ne peuvent être évaluées que par des gens qui valent! Le discours qui les promeut mesure ainsi les comportements humains à l’aune de représentations du bien (comme la «tolérance» ou la «solidarité») qui assurent un certain ordre des choses. Il n’est pas anodin que notre société marchande se satisfasse très bien d’un discours de valeurs. lesquelles, comme leurs homonymes monétaires, finissent par devenir des abstractions. Travers tout occidental que celui de la réification progressive de dynamiques agissantes en concepts abstraits: aimer s’appauvrit en amour, libérer en liberté et sauver en salut. Michel de Certeau voit juste quand il écrit: «Discours fabriqués et commercialisés, puisque le travail et la communication conditionnent la production des « valeurs ».»
Cela signifie encore que la parole chrétienne n’est pas orientée vers ce qui est définitif (comme ce qu’on appelle le «Jugement dernier » ou même le terme pour chacun que constitue la mort) mais ce qui est ultime, à savoir l’accueil de l’Evangile comme nouveau barème des valeurs qui juge, à chaque moment de l’histoire, du présent afin de le rendre à lui-même: une présence à un présent. Une présence au don d’exister. C’est cela le temps qui compte.
de cette présence, la modernité souffre de son absence. Pourquoi? Parce qu’elle a choisi de privilégier un rapport particulier au monde: celui de l’utilité. Il lui faut donc régler sa vision sur ce qui peut être calculé, mesuré, évalué, saisi. Dans cette optique technicienne, la perception a intérêt à se renforcer contre l’imprévisible, qui est le mode d’apparition de l’insaisissable.
Mais le coût d’un tel prix à payer pour « profiter » de la vie est de plus en plus chèrement ressenti. L’espérance défait le nihilisme, qui est fondamentalement un futur sans à-venir. Dans le nihilisme, il n’y a que du futur désorienté («demain est un autre jour») ou un passé commémoré dont on n’apprend rien. Reste l’injonction de «profiter du moment présent, c’est-à-dire d’une succession d’instants et de petites jouissances (qui sont autant de «petites morts» qui ne donnent pas la vie).
En ce sens, exister signifie à la fois recevoir la grâce d’être justifié d’exister – tel est le don – et la grâce d’espérer que ce don d’exister est sans rémission – tel est le pardon, le renouvellement du don. La métaphore du Royaume ne désigne rien d’autre que la perspective du pardon qui ouvre à l’homme un à-venir et transforme dès à présent sa vie en existence, dans tous les aspects de sa vie. Et ce pardon n’est autre que l’amour-don, l’agapè du Nouveau Testament, qui, parce qu’il vient à nous depuis l’à-venir, nous paraît impossible et inespéré.
Mais comment qualifier ce don? Il est amour : reconnaissance de l’autre qui le justifie d’exister Comme il existe; désir décontaminé de toute envie guéri de toute violence. Don donné d’avance mai aussi par-don, don donné par-delà l’offense, la réitéra on de l’amour qui fait exister quelqu’un.
Mon expérience de lecture
A venir et à venu
Par son essai Le christianisme n’existe pas encore, Dominique Collin m’a ouvert des portes. Son écriture est claire. Comme toute lecture d’essai, je surligne ce qui me parle. Il a fallu que je me clame car j’aurais surligné le livre en entier. J’ai compris ce qui me touchait, ce qui me parlait, ce qui me décevait et ce qui m’émerveillait dans cette déception dans mes lectures de l’évangile. Je ne veux pas en dire beaucoup plus, je vais joindre sur mon site le croquis-note de ma lecture et citer une phrase qui me revient :
Aimer plutôt que l’Amour
Libérer plutôt que la Liberté
Sauver plutôt que le Salut
Vivre une Expérience de foi plutôt que croire !
PS : Cette lecture peut être ouverte aussi à des personnes humaines athées
