122, Rue du chemin Vert par Anne Vassivière

Le rythme !

Oui, le Rythme.

Pour provoquer le mouvement du corps, il faut le Rythme.

Pour provoquer la danse en plus du mouvement, il faut la beauté et la profondeur.

Que la beauté soit dure, perturbante, qu’elle soit triste et mélancolique ou qu’elle soit douce et « ensommeilleuse », maitresse des désirs, elle nous invite à plonger aux deux profondeurs de notre être : celle qui se découvre en prenant de la distance, en nous regardant de loin. Et celle de l’intérieur.
« 122 rue du chemin vert » se lit comme un texte léger, cependant il possède bien le rythme, la beauté et les deux profondeurs : la profondeur extérieure de la distance et de l’humour. La profondeur intérieure du désir, du tragique et d’une forme de mélancolie.

Érotisme ? Pornographie ?

On dit littérature « érotique », on dit littérature « pornographique », on dit littérature « fantastique » pour justement dire que ce n’est pas de la « Lit-té-ra-tu-re », de la « grande » littérature. Mais ce roman relève de la littérature !

C’est par l’écrit que nous faisons le grand voyage humain profond. Cet ouvrage est presque une parabole.

J’ai cru commencer un roman genré et je me suis retrouvé en pleine littérature.

Dans ce roman, la profondeur littéraire est donnée dès le prologue où nous sommes plongés dans une enfance meurtrie par un don. Et c’est vraiment culoté ! Ensuite nous retrouvons une jeune femme qui a tout fait pour s’éloigner de la vie, et qu’un événement fortuit va obliger à y revenir.

Dans ce roman, la profondeur de la tragédie intérieure se mêle à la question de savoir où s’arrête le corps de l’humain, où commence l’autre, où se situe le reste du cosmos.

Hasard des promenades, lundi dernier je buvais un panaché au Café de Flore avec mes enfants et leurs amis. Il y avait une signature dans la salle du haut…c’était l’autrice qui faisait le lancement de ce roman !

Alors, ipso facto, je lui en ai racheté un nouvel exemplaire pour me le faire dédicacer et nous avons échangé quelques mots. Il n’y avait pas moins de 60 personnes dans ce petit espace, et un serveur qui virevoltait élégamment d’une table à l’autre. Les personnes présentes avaient l’air contentes, et j’étais ravi !

Juste une citation, une de celle qui fut dans la lecture au café de Flore ce soir-là :

« Depuis l’intérieur, j’observe qui regarde la vitrine. Un homme à croix et col romain est arrêté en chemin par une paroissienne. La dame tourne le dos à la librairie, mais le prêtre est bien en face. Il converse un moment avec celle qui le retient là, n’est pas gêné par la proximité des titres et des photos affichées. Il m’aperçoit dans la boutique et me sourit sans vice. J’entends distinctement sa voix intérieure prononcer le corps, je n’aurais pas pu le diviser pour en donner l’amour à une foule de personnes, alors j’ai choisi la foi, avec mon esprit, je peux multiplier mon amour. »

The Times They are a-changin’ by Bob Dylan

Rassemblez-vous braves gens
D’où que vous soyez,
Et admettez qu’autour de vous
L’eau commence à monter.
Acceptez que bientôt
Vous serez trempés jusqu’aux os,

Et que si vous valez
La peine d’être sauvés,
Vous feriez bien de commencer à nager
Ou vous coulerez comme une pierre,
Car les temps sont en train de changer.

Venez écrivains et critiques
Qui prophétisez avec votre plume,
Et gardez les yeux ouverts
La chance ne reviendra pas.
Ne parlez pas trop tôt
Car la roue tourne toujours,
Et elle n’a pas encore dit
Qui était désigné.

Le perdant de maintenant
Pourrait être le prochain gagnant,
Car les temps sont en train de changer.

Allons sénateurs et députés
S’il vous plaît écoutez l’appel,
Ne restez pas dans l’embrasure
N’encombrez pas le hall.
Car celui qui sera blessé
Sera celui qui n’a pas avancé.
Il y a une bataille dehors
Qui fait rage,
Elle secouera bientôt vos fenêtres

Et ébranlera vos murs,
Car les temps sont en train de changer.

Venez mères et pères
De partout dans le pays,
Et ne critiquez pas
Ce que vous ne pouvez pas comprendre.
Vos fils et vos filles
Sont au-delà de vos ordres,

Votre vieille route
Est en train de vieillir rapidement.
Ne restez pas sur la nouvelle
Si vous ne pouvez pas nous aider,
Car les temps sont en train de changer.

La ligne est tracée
La malédiction est lancée,
Ce qui arrive lentement maintenant
Va bientôt s’accélérer.
Comme le présent de maintenant
Sera plus tard le passé,
L’ordre établi change rapidement.

Et le premier maintenant
Sera bientôt le dernier.
Car les temps sont en train de changer.

La tragédie de Léto par Franck Herbert

La tragédie de Léto, re-voir, re-lire, le re-tour du « re »

Pour la 13ème fois je termine la tragédie de Léto II de Franck Herbert à travers « Les enfants de Dune » et l’Empereur Dieu de Dune ».
J’entends la question : 13ème fois ? Pourquoi ?

Comme la tragédie de Paul dans « Dune » et le « Messie de Dune », c’est une tragédie. Qui ne va pas revoir « Phèdre » ou « Roméo et Juliette » au théâtre sous prétexte qu’il l’aurait vu précédemment ? La réponse est dans la mise-en-scène, lale metteureuse en scène.
Un·e lecteuriste est également un·e metteureuse en scène de ses propres lectures. Iel n’est spectateuriste réellement que dans le souvenir de sa lecture.

(Aller, j’arrête avec l’inclusif qui pourtant est nécessaire et je vais plutôt utiliser le féminin qui représente la majorité des lectrices.)

Relire c’est faire l’expérience de sa propre évolution en tant que metteuse en scène, de faire l’expérience de ses propres transformations. Relire est un acte de foi. C’est faire confiance à ses propres métamorphoses et d’être capable d’accepter le constat de ses propres changements intérieurs par la nouvelle mise-en-scène qui va surgir à la re-lecture. C’est accepter de s’aventurer sur une nouvelle création ayant pour base la même chorégraphie des mots.

Je suis un grand digresseur et mes re-lectures bien souvent entraine cette qualité (?) de la digression. L’oraison carmélite est un acte de Foi. Elle demande de faire le silence de l’âme pour vivre l’expérience de la relation amicale avec Dieu. Cette rencontre est intérieure et digressive. La digression est un chemin doré qui permet de ne jamais rester sur une idée fixe, un problème à résoudre par des mots ancrés. Non l’oraison est comme la danse, le Keiko du Kendo ou une partie de jeu de rôle autour de la table avec des joueuses.

La Danse, plus particulièrement la Danse contemporaine qui ne se fixe pas comme la danse classique ou se veut spectaculaire comme les Streets Danses, explore en utilisant et créant un langage non verbal, un langage sacré qui s’aborde par la relation, par la notion de sujet et pas celle d’objet, par la relation subjective et pas l’observation objective, un langage sacré qui provoque une ouverture mystérieuse et profonde chez les danseuses en même temps que les spectatrices.

Léto II. Léto est l’Empereur Dieu. Il est Empereur tenant par ses décisions et son armée si particulière le pouvoir temporel, il est Dieu tenant la puissance éternelle qui exige de son armée d’apprendre à Danser, la danse de la vie, celle toujours inattendue. Il existe et en même temps « était-sera » pour construire le chemin doré, le sentier d’or, la voie de la digression permanente qui ouvre sur l’immortalité de la vie et l’éternité de nos vies, il nous y invite aussi à danser sur cette route en participant à sa création.

Voilà mon RE-DUNE pour la 13ème fois (j’attends avec impatience la sortie des deux derniers tomes, la tragédie du Bene Gesserit dans la collection ailleurs et demain). Je vous invite à vivre l’expérience du « re » comme revoir « sur la route de Madison » revoir les chorégraphies de Pina Bausch ou Dominique Bagouet et Anne Teresa De Keersmaeker et à voir de la danse contemporaine à vous inscrire à du kendo ou tout art martial et à pratiquer le jeu de rôle.

Relisez, empruntez ce sentier d’or. Et si vous le pouvez, poser un acte de foi, priez…
Bonne vie à vous tous.