C’est toujours un mystère. Des gens qu’on ne voit nulle part, s’assemblent dans les églises.
Lire !
Une personne humaine lit.
Elle consacre une partie de son temps de vie éveillé à lire.
A lire un roman, un essai, une revue, une BD, un livre d’art, un tract, l’étiquette d’une boite de petit pois en conserve (private joke pour mon ami Gilles). C’est un temps de « hors-là ». Que ce temps soit dans le transport en commun, dans un canapé, sur un banc public, une plage, une crique, un bar, un lit, ce temps n’est pas ici, il n’est pas là, il est « hors-là », il est dans des signes écrits.
Et cette personne est un être complexe, possédant un passé joyeux, douloureux, triste, mélancolique, exaltant, conscient ou inconscient ; possédant un présent de vie en un lieu concret animé de désirs, de peurs, de colères, d’envies, de jalousies, de gourmandises, de dégouts, de plaisirs. Pourtant elle lit. Elle lit, ici, en ce moment plutôt que de se projeter, d’imaginer, de préparer, de calculer son futur, ou, au calme, accueillir son avenir toujours inattendu comme est l’avenir.
Elle lit.
Elle lit pour se distraire, avec tout ce que transporte l’idée de distraction. Elle lit pour provoquer des pensées inattendues, faire venir des questions qu’elle ne pensait pas se poser. Elle lit avec une attente quelle qu’elle soit.
Elle lit et continue d’appartenir à son milieu social, populaire, classe moyenne, petite bourgeoisie, bourgeoisie, aristocratie. Elle lit alors qu’elle est dans une vie, la sienne, dont elle ne connait pas la fin, pourtant elle lit et le livre qu’elle lit possède une dernière page, un dernier mot, un point final. Une fois refermé, il reste juste…
Que reste-t-il finalement ?
Un bon moment ? Un oubli de soi momentanée ? Des questions ? Des milliers de questions peut-être ? Et peut-être même une révélation, une transformation, une expérience inoubliable.
Eh, pourquoi ce préambule interminable pour parler des « solidarités mystérieuses par Pascal Guignard ». Pour écrire sur une histoire simple raconté à cinq voix. Une bête histoire d’amour chronologique et pourtant « dyschronique » ou chaque instant semble éternel. Ce roman arrive dans ma vie, en synchronie avec une transformation physique (je vieilli), psychique (plus de souvenirs que de projets) et spirituel (le saut quantique de la foi vers Agapé).
Et je me demande si le roman que je viens de terminer est le même pour chaque lecteur, malgré le même enchainement de mots. Le roman est inattendue, ou sourd l’avenir comme source sans cesse renouvelé et où le futur est enfin jugulé, tout cela dans le présent en étant PRÉSENT. Évidement ce n’est pas un critique, mais juste un compte rendu d’expérience de lecture.
Posez vous un instant la question : pourquoi un tel compte rendu pour ce roman ?
Alors tentez l’expérience de cette même lecture et racontez-moi.
Écoute, écoute… Dans le silence de la mer, il y a comme un balancement maudit qui vous met le cœur à l’heure, avec le sable qui se remonte un peu, comme les vieilles putes qui remontent leur peau, qui tirent la couverture.
Immobile… L’immobilité, ça dérange le siècle. C’est un peu le sourire de la vitesse, et ça sourit pas lerche, la vitesse, en ces temps. Les amants de la mer s’en vont en Bretagne ou à Tahiti… C’est vraiment con, les amants.
IL n’y a plus rien
Camarade maudit, camarade misère… Misère, c’était le nom de ma chienne qui n’avait que trois pattes. L’autre, le destin la lui avait mise de côté pour les olympiades de la bouffe et des culs semestriels qu’elle accrochait dans les buissons pour y aller de sa progéniture. Elle est partie, Misère, dans des cahots, quelque part dans la nuit des chiens. Camarade tranquille, camarade prospère, Quand tu rentreras chez toi Pourquoi chez toi ? Quand tu rentreras dans ta boîte, rue d’Alésia ou du Faubourg Si tu trouves quelqu’un qui dort dans ton lit, Si tu y trouves quelqu’un qui dort Alors va-t-en, dans le matin clairet Seul Te marie pas Si c’est ta femme qui est là, réveille-la de sa mort imagée
Fous-lui une baffe, comme à une qui aurait une syncope ou une crise de nerfs… Tu pourras lui dire : »T’as pas honte de t’assumer comme ça dans ta liquide sénescence. Dis, t’as pas honte ? Alors qu’il y a quatre-vingt-dix mille espèces de fleurs ? Espèce de conne ! Et barre-toi ! Divorce-la Te marie pas ! Tu peux tout faire : T’empaqueter dans le désordre, pour l’honneur, pour la conservation du titre…
Le désordre, c’est l’ordre moins le pouvoir !
Il n’y a plus rien
Je suis un nègre blanc qui mange du cirage Parce qu’il se fait chier à être blanc, ce nègre, Il en a marre qu’on lui dise : » Sale blanc ! »
A Marseille, la sardine qui bouche le Port Etait bourrée d’héroïne Et les hommes-grenouilles n’en sont pas revenus… Libérez les sardines Et y’aura plus de mareyeurs !
Si tu savais ce que je sais On te montrerait du doigt dans la rue Alors il vaut mieux que tu ne saches rien Comme ça, au moins, tu es peinard, anonyme, Citoyen !
Tu as droit, Citoyen, au minimum décent A la publicité des enzymes et du charme Au trafic des dollars et aux traficants d’armes Qui traînent les journaux dans la boue et le sang Tu as droit à ce bruit de la mer qui descend Et si tu veux la prendre elle te fera du charme Avec le vent au cul et des sextants d’alarme Et la mer reviendra sans toi si tu es méchant
Les mots… toujours les mots, bien sûr ! Citoyens ! Aux armes ! Aux pépées, Citoyens ! A l’Amour, Citoyens ! Nous entrerons dans la carrière quand nous aurons cassé la gueule à nos ainés ! Les préfectures sont des monuments en airain… un coup d’aile d’oiseau ne les entame même pas… C’est vous dire !
Nous ne sommes même plus des juifs allemands Nous ne sommes plus rien
Il n’y a plus rien
Des futals bien coupés sur lesquels lorgnent les gosses, certes ! Des poitrines occupées Des ventres vacants Arrange-toi avec ça !
Le sourire de ceux qui font chauffer leur gamelle sur les plages reconverties et démoustiquées C’est-à-dire en enfer, là où Dieu met ses lunettes noires pour ne pas risquer d’être reconnu par ses admirateurs Dieu est une idole, aussi ! Sous les pavés il n’y a plus la plage Il y a l’enfer et la Sécurité Notre vraie vie n’est pas ailleurs, elle est ici Nous sommes au monde, on nous l’a assez dit N’en déplaise à la littérature
Les mots, nous leur mettons des masques, un bâillon sur la tronche A l’encyclopédie, les mots ! Et nous partons avec nos cris ! Et voilà !
Il n’y a plus rien… plus, plus rien
Je suis un chien ? Perhaps ! Je suis un rat Rien Léo Ferré – Il n’y a plus rien
Avec le coeur battant jusqu’à la dernière battue
Nous arrivons avec nos accessoires pour faire le ménage dans la tête des gens : « Apprends donc à te coucher tout nu ! « Fous en l’air tes pantoufles ! « Renverse tes chaises ! « Mange debout ! » Assois-toi sur des tonnes d’inconvenances et montre-toi à la fenêtre en gueulant des gueulantes de principe
Si jamais tu t’aperçois que ta révolte s’encroûte et devient une habituelle révolte, alors, Sors Marche Crève Baise Aime enfin les arbres, les bêtes et détourne-toi du conforme et de l’inconforme Lâche ces notions, si ce sont des notions Rien ne vaut la peine de rien
Il n’y a plus rien… plus, plus rien
Invente des formules de nuit: CLN… C’est la nuit ! Même au soleil, surtout au soleil, c’est la nuit Tu peux crever… Les gens ne retiendront même pas une de leur inspiration. Ils canaliseront sur toi leur air vicié en des regrets éternels puant le certificat d’études et le cathéchisme ombilical. C’est vraiment dégueulasse Ils te tairont, les gens. Les gens taisent l’autre, toujours. Regarde, à table, quand ils mangent… Ils s’engouffrent dans l’innomé Ils se dépassent eux-mêmes et s’en vont vers l’ordure et le rot ponctuel !
La ponctuation de l’absurde, c’est bien ce renversement des réacteurs abdominaux, comme à l’atterrissage : on rote et on arrête le massacre. Sur les pistes de l’inconscient, il y a des balises baveuses toujours un peu se souvenant du frichti, de l’organe, du repu.
Mes plus beaux souvenirs sont d’une autre planète Où les bouchers vendaient de l’homme à la criée
Moi, je suis de la race ferroviaire qui regarde passer les vaches Si on ne mangeait pas les vaches, les moutons et les restes Nous ne connaîtrions ni les vaches, ni les moutons, ni les restes… Au bout du compte, on nous élève pour nous becqueter Alors, becquetons ! Côte à l’os pour deux personnes, tu connais ?
Heureusement il y a le lit : un parking ! Tu viens, mon amour ? Et puis, c’est comme à la roulette : on mise, on mise… Si la roulette n’avait qu’un trou, on nous ferait miser quand même D’ailleurs, c’est ce qu’on fait ! Je comprends les joueurs : ils ont trente-cinq chances de ne pas se faire mettre… Et ils mettent, ils mettent… Le drame, dans le couple, c’est qu’on est deux Et qu’il n’y a qu’un trou dans la roulette…
Quand je vois un couple dans la rue, je change de trottoir
Te marie pas Ne vote pas Sinon t’es coincé Léo Ferré – Il n’y a plus rien
Elle était belle comme la révolte Nous l’avions dans les yeux, dans les bras dans nos futals Elle s’appelait l’imagination
Elle dormait comme une morte, elle était comme morte Elle sommeillait On l’enterra de mémoire
Dans le cocktail Molotov, il faut mettre du Martini, mon petit !
Transbahutez vos idées comme de la drogue… Tu risques rien à la frontière Rien dans les mains Rien dans les poches
Tout dans la tronche !
Vous n’avez rien à déclarer ? Non. Comment vous nommez-vous ? Karl Marx. Allez, passez !
Nous partîmes… Nous étions une poignée… Nous nous retrouverons bientôt démunis, seuls, avec nos projets d’imagination dans le passé Ecoutez-les… Ecoutez-les… Ca rape comme le vin nouveau Nous partîmes… Nous étions une poignée Bientôt ça débordera sur les trottoirs La parlotte ça n’est pas un détonateur suffisant Le silence armé, c’est bien, mais il faut bien fermer sa gueule… Toutes des concierges ! Ecoutez-les…
Il n’y a plus rien
Si les morts se levaient ? Hein ?
Nous étions combien ? Ca ira !
La tristesse, toujours la tristesse…
Ils chantaient, ils chantaient… Dans les rues…
Te marie pas Ceux de San Francisco, de Paris, de Milan Et ceux de Mexico Bras dessus bras dessous Bien accrochés au rêve
Ne vote pas Léo Ferré – Il n’y a plus rien
0 DC8 des Pélicans Cigognes qui partent à l’heure Labrador Lèvres des bisons J’invente en bas des rennes bleus En habit rouge du couchant Je vais à l’Ouest de ma mémoire Vers la Clarté vers la Clarté
Je m’éclaire la Nuit dans le noir de mes nerfs Dans l’or de mes cheveux j’ai mis cent mille watts Des circuits sont en panne dans le fond de ma viande J’imagine le téléphone dans une lande Celle où nous nous voyons moi et moi Dans cette brume obscène au crépuscule teint Je ne suis qu’un voyant embarrassé de signes Mes circuits déconnectent Je ne suis qu’un binaire
Mon fils, il faut lever le camp comme lève la pâte Il est tôt Lève-toi Prends du vin pour la route Dégaine-toi du rêve anxieux des biens assis Roule Roule mon fils vers l’étoile idéale Tu te rencontreras Tu te reconnaîtras Ton dessin devant toi, tu rentreras dedans La mue ça ses fait à l’envers dans ce monde inventif Tu reprendras ta voix de fille et chanteras Demain Retourne tes yeux au-dedans de toi Quand tu auras passé le mur du mur Quand tu auras autrepassé ta vision Alors tu verras rien
Il n’y a plus rien
Que les pères et les mères Que ceux qui t’ont fait Que ceux qui ont fait tous les autres Que les « monsieur » Que les « madame » Que les « assis » dans les velours glacés, soumis, mollasses Que ces horribles magasins bipèdes et roulants Qui portent tout en devanture Tous ceux-là à qui tu pourras dire :
Monsieur ! Madame !
Laissez donc ces gens-là tranquilles Ces courbettes imaginées que vous leur inventez Ces désespoirs soumis Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe pour aller gagner VOS sous, Avec les poumons resserrés Les mains grandies par l’outrage et les bonnes mœurs Les yeux défaits par les veilles soucieuses… Et vous comptez vos sous ? Pardon…. LEURS sous !
Ce qui vous déshonore C’est la propreté administrative, écologique dont vous tirez orgueil Dans vos salles de bains climatisées Dans vos bidets déserts En vos miroirs menteurs…
Vous faites mentir les miroirs Vous êtes puissants au point de vous refléter tels que vous êtes Cravatés Envisonnés Empapaoutés de morgue et d’ennui dans l’eau verte qui descend des montagnes et que vous vous êtes arrangés pour soumettre A un point donné A heure fixe Pour vos narcissiques partouzes. Vous vous regardez et vous ne pouvez même plus vous reconnaître
tellement vous êtes beau
Et vous comptez vos sous En long En large En marge De ces salaires que vous lâchez avec précision Avec parcimonie J’allais dire « en douce » comme ces aquilons avant-coureurs et qui racontent les exploits du bol alimentaire, avec cet apparat vengeur et nivellateur qui empêche toute identification… Je veux dire que pour exploiter votre prochain, vous êtes les champions de l’anonymat.
Les révolutions ? Parlons-en ! Je veux parler des révolutions qu’on peut encore montrer Parce qu’elles vous servent, Parce qu’elles vous ont toujours servis, Ces révolutions de « l’histoire », Parce que les « histoires » ça vous amuse, avant de vous interesser, Et quand ça vous intéresse, il est trop tard, on vous dit qu’il s’en prépare une autre. Lorsque quelque chose d’inédit vous choque et vous gêne, Vous vous arrangez la veille, toujours la veille, pour retenir une place Dans un palace d’exilés, entouré du prestige des déracinés. Les racines profondes de ce pays, c’est Vous, paraît-il, Et quand on vous transbahute d’un « désordre de la rue », comme vous dites, à un « ordre nouveau » comme ils disent, vous vous faites greffer au retour et on vous salue.
Depuis deux cent ans, vous prenez des billets pour les révolutions. Vous seriez même tentés d’y apporter votre petit panier, Pour n’en pas perdre une miette, n’est-ce-pas ? Et les « vauriens » qui vous amusent, ces « vauriens » qui vous dérangent aussi, on les enveloppe dans un fait divers pendant que vous enveloppez les « vôtres » dans un drapeau.
Vous vous croyez toujours, vous autres, dans un haras ! La race ça vous tient debout dans ce monde que vous avez assis. Vous avez le style du pouvoir Vous en arrivez même à vous parler à vous-mêmes Comme si vous parliez à vos subordonnés, De peur de quitter votre stature, vos boursouflures, de peur qu’on vous montre du doigt, dans les corridors de l’ennui, et qu’on se dise : « Tiens, il baisse, il va finir par se plier, par ramper » Soyez tranquilles ! Pour la reptation, vous êtes imbattables ; seulement, vous ne vous la concédez que dans la métaphore… Vous voulez bien vous allonger mais avec de l’allure, Cette « allure » que vous portez, Monsieur, à votre boutonnière, Et quand on sait ce qu’a pu vous coûter de silences aigres, De renvois mal aiguillés De demi-sourires séchés comme des larmes, Ce ruban malheureux et rouge comme la honte dont vous ne vous êtes jamais décidé à empourprer votre visage, Je me demande comment et pourquoi la Nature met Tant d’entêtement, Tant d’adresse Et tant d’indifférence biologique A faire que vos fils ressemblent à ce point à leurs pères, Depuis les jupes de vos femmes matrimoniaires Jusqu’aux salonnardes équivoques où vous les dressez à boire, Dans votre grand monde, A la coupe des bien-pensants.
Moi, je suis un bâtard. Nous sommes tous des bâtards. Ce qui nous sépare, aujourd’hui, c’est que votre bâtardise à vous est sanctionnée par le code civil Sur lequel, avec votre permission, je me plais à cracher, avant de prendre congé. Soyez tranquilles, Vous ne risquez Rien
Il n’y a plus rien
Et ce rien, on vous le laisse ! Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez, Nous, on peut pas. Un jour, dans dix mille ans, Quand vous ne serez plus là, Nous aurons TOUT Rien de vous Tout de nous Nous aurons eu le temps d’inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse, Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles, Le sourire des bêtes enfin détraquées, La priorité à Gauche, permettez !
Nous ne mourrons plus de rien Nous vivrons de tout
Et les microbes de la connerie que nous n’aurez pas manqué de nous léguer, montant De vos fumures De vos livres engrangés dans vos silothèques De vos documents publics De vos réglements d’administration pénitenciaire De vos décrets De vos prières, même, Tous ces microbes… Soyez tranquilles, Nous aurons déjà des machines pour les révoquer
Je ne suis pas protestant Je ne te tutoie pas Je ne te parle pas en direct de ma vie
Je ne suis pas orthodoxe Je ne chante pas toutes mes prières Je ne dépose pas à tes pieds en cantique ma pauvreté
Je ne suis pas musulman Je ne suis pas soumis à cet infini inconnaissable Je n’explore pas les mathématiques pour ta pureté
Je ne suis pas juif Je n’interprète pas en permanence ta loi écrite Je n’en bâtis pas de nouvelles comme prière
Je ne suis pas bouddhiste Je ne cherche pas l’illumination libératrice Je ne suis pas en contemplation du vide
Je ne suis pas athée Je ne cherche pas l’harmonie du corps Par une méditation en plaine conscience
Je ne suis pas…
Mais je suis devant une porte Une porte où est écrit catholique Une porte derrière laquelle je voix tes lumineuses ténèbres Il me faut y plonger avec confiance Sans espoir, sans pari, juste confiance Et je retombe au cœur de moi-même Alors, tu étais là ?